On allait enfin quitter la France et repartir au Vietnam vendredi. Venus très en avance à CDG, mais ce n'est jamais un luxe d'avoir ce temps là, on avait passé toutes les épreuves d'un départ en avion : enregistrement des bagages, flip de kilo en trop, qu'il faut répartir, démarches pour les détaxes, circulation stoppée pour cause de colis suspects (40 minutes), attente longue pour passer l'immigration avec son agent unique alors que nous étions plus d'une cinquantaine de passagers, toilettes pour vider ses angoisses de l'avion. Enfin on est dans le lieu de l'embarquement, puis à quelques pas de l'avion, et c'est à ce moment là que j'ai eu un contrôle des douanes, ton militaire, ambiance tendue. Pour une somme d'argent supérieure à un seuil, il faut faire une déclaration auprès des douanes à l'arrivée de l'aéroport. Qui le sait ? et qui le fait ?
J'ai eu droit à un contrôle de tous mes bagages, avec toute la suspicion que l'on fait peser sur les profils criminels, autant dire un mauvais moment que je n'ai pas apprécié du tout, même si j'ai été totalement coopératif. Les douaniers me préviennent que je ne prendrais pas l'avion, car ils veulent vérifier ma valise de soute aussi. Tout s'écroule, en même temps que tout se recolmate pour rester vigilant sur la situation. Bien sûr que l'effet d'intimidation joue, mais à l'effet d'un écroulement moral subit, je rebondissais aussitôt avec raison, tant pis pour le vol, je reprendrais le prochain, ça c'était sûr car les douaniers vous le disent. Avec beaucoup de déchirement je voyais partir Jaime et Bénédicte que je persuadais de ne pas rester un instant de plus à CDG, que je les rejoindrais bien, je sais plus tard que ce sera deux jours après, le dimanche, que Vietnam Airline n'a fait aucune histoire pour me replacer sur leur vol.
Je suis dans un bureau de policiers, un 8 m² sans fenêtre, un ordinateur froid, des murs jaunis, en sous sol. Comme cela se passe dans tous les films, inspirés de la réalité, je dois tout décliner, identité, affaires, argent, but, le pourquoi, le comment, le ne pas savoir, etc. Au moment où l'on se place dans l'absurdité d'une situation, il faut penser à Kafka pour rester lucide, car il nous a dit, à tous, que cela existe. Donc j'ai été coopératif, je ne me sentais pas du tout ou coupable, ou victime, ou trafiquant, ou criminel. L'argent que j'avais sur moi est tout fait légalement gagné et gagné avec peine, donc je n'avais absolument rien à me reprocher, sinon le fait de ne pas connaitre toutes les lois douanières. J'ai eu affaire à trois personnes, dont une femme, tout à fait humaines, sociables et calmes. Ils ont regardé dans les bagages et découvert que je lisais beaucoup de livres, que j'aimais le cinéma d'auteurs édité en DVD par le Monde, que je raffole des parfums de chez l'Artisan Parfumeur, que je collectionnais les cartes à jouer et que je portais des chaussures de....femme, car j'avais rangé les chaussures de Béni dans mes valises. Ensuite ils ont rangé les affaires très proprement. Tout cela dure environ une heure et demie deux heures, je sentais que leur temps de déjeuner les préoccupait : "Il ne va nous rester que 20 minutes avant que la cantine ne ferme", écoutant leur conversation à 14 heures sonnantes, puis un autre douanier est rentré pour réciter les menus de midi. Le déjeuner est toujours important pour un fonctionnaire qui ne fait que de la routine.
J'ai payé des pénalités par manquement de déclaration de mon argent, prélevées directement sur ce que j'avais emporté,"quand même un salaire mensuel pour moi, petit fonctionnaire au musée du Louvre, vous savez" leur avais-je spécifié, propos accueilli avec un silence pieux, puis signé le procès-verbal sans suite et les douaniers m'ont aidé à booker le prochain vol pour Ho Chi Minh. Salutations de rigueur.
Je suis sorti de là assez calme, je n'avais rien à me reprocher après tout, tout ce que je possède est très légalement acquis, et tout ce que je fais je suis content de l'assumer (et cela c'est à propos de mon congé sabbatique qui dure, qui dure...). Je fus donc philosophe, mais je ne peux pas dire si je ne suis pas redevenu un peu parano vis à vis de l'état français et de sa politique de resserrement. Les déclarations de devises existent depuis toujours, mais les choses ont durci avec l'arrivée de la gauche en 81 qui voulait stopper la fuite des francs à l'étranger par les gens de droite, puis c'est un autre durcissement avec l'union européenne. Sur mon procès-verval, je fais manquement à un article de loi voté par la commision européenne en date seulement de 2007!
Quelle aventure quand même, et quelle tristesse profonde de regarder partir Jaime et Bénédicte, tous les deux très choqués de me voir retenu. Sur le coup, de multiples appréhensions sont revenues, certaines attitudes étranges observées depuis quelques jours avant le départ (tous ces signes annonçaient-ils cette histoire ?), tout comme les superstitions liées à l'horoscope chinois (l'entrée dans l'année du rat...pas bonne, l'année du rat). Dans mon malheur, j'ai été bien traité, et les choses se sont passées très poliment, ce que j'espère pour tous les autres cas.
Je rédige tout cela pour extérioriser un peu les restes d'angoisse, je suis dans l'appartement de Béni, sous un soleil radieux d'hiver venu tout illuminer, dans 24 heures, un autre soleil m'attend, il me reste à savourer encore les quelques heures heureuses de la France.